Ce Dont On Ne Parle Plus

Ce doit être l’âge que je me suis dit. Le temps qui passe. Qui fait que. On s’attarde ici, un peu moins là…
Quelque chose vous saisit, une angoisse épouvantable ; oh ! vous la combattez ! Un peu moins fier, cependant. Mais, tout de même, encore, vous luttez. Contre l’inéluctable.
C’est que, on traverse pas, comme ça, des vents, des marées, quelques « chagrins qui se reposent », pour un jour, renoncer. Se ranger.
Quand bien même, vous auriez toujours espéré que vienne ce moment-là. Celui où, enfin, vous entreverriez la paix.

Oui, je me dis que c’est l’âge, tu vieillis ma pomme, ça y est, voilà que ça te prend, même que c’était couru, et comment !
C’est bien possible… Mais tout de même, j’ai pas la berlue. L’âge d’accord, et pis tout le reste, je veux dire ce qu’on a fait, ce qu’on a pas fait, ça compte, ça finit par peser. Brouiller la vue. Et t’enfumer le cassis…
Oui, peut-être que c’est ça, mais peut-être aussi que non. Car bon sang, j’ai toutes mes oreilles, ma lucidité. J’ai pas encore viré cinoque. Ce dont on ne parle plus, je l’entends ! Je vois bien que ça manque. Et cruellement. Depuis quand ?… Pas mal de temps, je crois. C’est bien ça le problème. J’ai pas la date exacte… Est-ce que ça aurait à voir avec je ne sais quel libéralisme, l’effréné ? Un Mur qui tombe ? Des tours qui s’écroulent ? Va savoir.

Mais nous autres, « les gens » comme on nous appelle désormais, nous y sommes pour quoi ? Que nous n’ayons pas fait gaffe, ça oui, mais faut comprendre. Nous autres, on a nos petites vies, le quotidien, cette lourdeur. Certes, on aurait pu. Non pas s’indigner, mais au-delà. Bien au-delà.
Oui, c’est vrai, qu’on s’est laissé bourrer le mou, s’entraînant les uns, les autres, si bien qu’à force, de cette faiblesse, la nôtre, on a profité.
C’est pas qu’on n’est pas coupable, c’est pas qu’on est innocent, c’est juste qu’on ne sait pas. Ou plutôt, qu’on ne fait plus l’effort. De savoir. Parce qu’on a fait un choix : celui d’être tranquille, un jour. A n’importe quel prix. Sans en mesurer les conséquences.
Et maintenant, ils peuvent casser le monde – ce qu’ils font – on ne le voit pas. C’est ça qu’est admirable ! Si j’ose dire. Admirable parce que, naguère, c’était l’amour qui rendait aveugle, n’est-ce pas ? Désormais, c’est son absence qui nous plonge, et de plus en plus, dans la cécité. Totale. Absolue.
Ce dont on ne parle plus, c’est d’Amour.

On ne parle plus d’Amour. Nulle part. Tu peux chercher, tu trouveras pas. Ou alors, c’est de la mise en scène. C’est pour faire de l’audimat. Du tirage. De l’entrée. Bref, c’est du commerce.
L’Amour, c’est plus une valeur. J’emploie ce terme – valeur – à desseins, tant on nous le sort à toutes les sauces, tant on l’entend, partout, tout le temps.
Les valeurs de la droite, les valeurs de la gauche, « Moi, monsieur, j’ai des valeurs ! », « il faut défendre les valeurs de la France », mais ces « valeurs » avec lesquelles, bien sûr, on ne transigera pas, mais que sont-ce ? Sinon, le cynisme. Oh, bien maquillé, j’en conviens. Par d’autres mots, des consensuels – mais pour combien de temps ? – comme « solidarité », « compassion », des mots fourre-tout, qui dérangent rien, et surtout pas l’ordre établi ou celui qu’on veut nous enfiler, demain.
Des mots dégueulasses, en vérité, avec lesquels on entube les pauvres gens, les endort, et plus encore !

Oh oui, je sais, j’entends : « De quoi ?… D’Amour ? Comment oses-tu (me) parler d’Amour, toi qui n’as pas connu Lola Rastaquouère… ».
Dans le meilleur des cas.
Dans le pire, on te renvoie, fissa, chez les Bisounours.
« D’Amour ! Non mais je rêve ! Oh, venez donc voir un peu, ‘les gens’, y’a un illuminé sur la toile ! ».
Ah c’est cul-cul, hein, de parler – ou tenter de parler – d’Amour. Pourtant, j’ai pas la berlue, je suis pas cinoque, ce mot-là, je l’entends plus. Je crois même qu’on s’en fout.
C’est plus un but, pas même un désir, c’est plus lui qui nous fait bander. Sinon, ça tournerait différent. Le monde.

Oh c’est pas du romantisme, ça non ! ils sont morts les romantiques, tu dois être au courant, non ? Ça fait lurette. Morts… et même pas enterrés ! On n’y a pas pensé. Ils ont pourri, là, sans même qu’on s’en soucie. C’est qu’on avait pas le temps, dis ! Fallait croûter, usiner, batailler. Et pour le reste, y’a la télé !
Cette salope de télé. C’est elle qu’a tout pris. Qui nous a tout volés. Notre temps. Notre dignité. Notre esprit (critique). De nous, elle a fait des mollassons, des valets, des larbins. Des êtres vides…
Quoi, je m’emporte, j’outrancie ? Mais y’a de quoi, non ?… Tu vois pas où qu’on va si l’on continue comme ça, sur ce chemin-là ?
Un monde qui ne parle plus d’Amour, qui ne respire plus l’Amour, qui le bannit presque, mais ce monde-là, il est foutu, mon pote. Il ne s’en sortira pas !
La solidarité, la compassion, ce sont mots de papier, télévisuels, qui ne sont là que pour nous déculpabiliser, une heure tout au plus ! Et puis quoi, encore !… Un ruban rouge ?… Parlons-en ! Si y’a pas d’Amour, tu peux bien parader avec ton ruban rouge, qu’est-ce ça change ? Tu peux me le dire ?… A ce compte-là, je peux, itou, être, quand je veux, pour un jour, solidaire avec tous les miséreux de cette foutue planète. Tous les malades, tous les sinistrés, tous les exclus, tous ceux qui crèvent de solitude.
Je peux, oui, afficher tous les rubans de la terre, si y’a rien derrière, pas un milligramme d’Amour, ça vaut pas tripette.

C’est pas que je rêvais d’un autre monde, il est comme il est, mais j’aurais préféré qu’il aime plus qu’il n’est.
Parfois, dans cette avalanche de cynisme, j’en viens même à me demander s’il n’est pas comme il hait.

Que les hommes politiques ne parlent pas d’Amour, ça n’étonne pas grand monde.
Mais quand le monde n’en parle plus et que personne ne s’en étonne, alors là, c’est sale temps.
Je sais pas depuis quand. J’ai pas la date exacte. Mais je me souviens d’un temps où c’était différent. Différent, ça veut pas dire que tout allait bien, youp-la-boum, y’a de la joie, bonjour, bonjour les hirondelles ! Pas dire que nous vivions heureux, sereins, sans l’angoisse des lendemains, ça n’a jamais été le cas, je crois.

Non, je ne rêvais pas d’un autre monde, je sais bien que la lune est blonde, même que je l’ai épousée. C’est pas ça.
C’est juste qu’il part en quenouille, ce monde. Faut-il être aveugle pour ne pas le voir. Faut-il être aveugle pour ne pas comprendre que c’est l’absence d’Amour, le Véritable, celui qui engage, qu’est en train de l’estourbir.
Et nous avec.

2 commentaires sur “Ce Dont On Ne Parle Plus

  1. C’est vrai, ce n’est guère plus dans l’air du temps, trop occupés que nous sommes à nous faire peur les uns les autres. Mais il faut voir le bon côté de tous ces mauvais côtés : à force de moins le voir, il se cache pour mieux revenir plus fort plus tard. En tout cas j’en ferais mon chemin de croix, sans dieu, mais avec amour, total, contre les peurs. Nous sommes à l’aube de quelque chose, et bien heureusement cette tendance que vous citez va s’inverser dans les consciences, même si les anciens ne changeront peut-être pas leur école, trop habitués. Beau texte que le votre.

  2. bonjour
    je viens de tomber sur votre texte qui me donne envie de vous dire qu’il y a beaucoup de personnes qui font leur possible pour reconquérir leur identité d’être humain et redécouvre la compassion (la vraie, celle qui vient réellement du cœur sans connotation religieuse ni mercantile), la solidarité et l’échange. Le propos serait trop long à développer. Je voulais juste vous dire qu’il y a de l’espoir, d’où que l’on vient. Nous rêvons tous notre vie personnelle et le monde dans lequel nous décidons d’y vivre. Chacun de nous fabrique ce monde avec ses pensées et ses rêves, ses actions. Nous en sommes tous les acteurs mais également les créateurs. C’est ce que j’appelle l’espoir. L’expérience me le prouve depuis des années. Et en ce moment la physique quantique ne fait que confirmer ce phénomène de jour en jour. Bien à vous. Shara

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